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01669

Camp de Vacances : les monos Emile Cornil, Jean Verkindère,

Jacques Descamps, André Degryse, Adrien Drouart.

(Photo n° 1669

La Libération d'Halluin - Septembre 1944 :

Le récit de l'Abbé Emile Cornil.

Le départ des Allemands :

 Depuis le mercredi 30 août 1944, les Allemands pensent au départ un peu partout. Et durant 3 jours et 3 nuits, surtout pendant les nuits, des camions et des autos descendent calmement la rue de Lille vers la Belgique.

 

Evidemment, certains trouvent intelligents de s’arrêter devant la maison de Madame Cornil pour en réveiller les habitants. Leur langue élégante et très douce est comme chacun sait, bien faite pour bercer les dormeurs. Mais leurs gosiers ne laissent échapper que des jurons et des injures. Nul n’a le courage de chanter. D’autres convois aussi nombreux viennent d’Armentières par la rue de la Lys. 

 

A certains moments, les autos (la plupart ne sont pas camouflées pour tromper les avions mitrailleurs), se suivent à quelques décimètres de distance.  Certaines crèvent par suite des clous semés par les Patriotes.   Les Allemands ne trouvent rien de plus simple que de prendre les pneus des civils.  La morale de cette histoire découle logiquement : on ne sort plus en auto, donc plus de transports.

 

Tous les Allemands résidant à Halluin évacuent aussi. On brûle les papiers : chez mon oncle Maurice, les Allemands brûlent des papiers pendant douze heures, préparent les bagages et en pleurant (pressentant que c’est définitif), et partent »via Berlin ». Ceci prouve leur attachement à la France et le désir sincère de collaborer ! Ah ! Les braves gens !

 

On commence déjà à ce moment à plaisanter et à espérer. Mais ceux qui parlent de la Libération pour le 2 septembre sont des optimistes, sinon utopistes. Et pourtant… presque !...

Autre aperçu de cette période : les Anglais mitraillent. Il ne faut rien exagérer. A Halluin et aux environs ils ne sont venus que trois fois.

 

D’abord sur la route de Bousbecque. Ils y attaquent un camion automobile qui vient vers Halluin. L’avion tourne plusieurs fois autour du camion. En voyant qu’il ne s’arrête pas, il tire : c’était un camion de la maison « Mestdag » résultat : un blessé grave. Puis au château Six du Mont.

 

Enfin sur la route Lille-Halluin, une voiture brûle. Les Allemands ont réussi à se sauver. Un petit enfant est blessé. Mais les Allemands ont très peur des avions (la plupart du moins). Ils se cachent tout de suite. En face de la maison de la rue de la Gare, 9 Allemands poussaient une baladeuse contenant quelques sacs. Des avions survolent et renversent la charrette et s’enfuient. Nombreux éclats de rire !..

 

La population est très calme cependant. On attend et applaudit aux avances anglaises. On voudrait avoir des nouvelles à tous moments et elles pleuvent : on a dit les Anglais à Beauvais, Amiens, Abbeville, Arras… ensuite à Creil, sur la Marne… déception !... Bientôt c’est pour de bon. Hourrah ! On apprend que les Allemands se retireront chez eux sans se défendre. Enfin, énervement mais sans grande manifestation.

 

Vendredi 1er septembre 1944

Le matin les camions continuent de circuler. Bientôt la douane est abandonnée par tous les douaniers allemands, belges et français.

Au patro, l’abbé Beddelem congédie les enfants un peu avant l’heure, après leur avoir appris en sourdine « La Marseillaise ». Il leur promet la Libération pour le dimanche à

4 h 30, et leur recommande de ne pas sortir de leur maison pendant les jours suivants, parce que dit-il « vous pourrez me chercher, vous ne me trouverez pas, je ne bougerai pas ».

 Le soir tout est calme. Le nombre des voitures diminue un peu.

 

Samedi 2 septembre 1944

Calme relatif pendant toute la matinée. Mais déjà vers 11 heures, les camions passent garnis de deux Allemands sur les garde-boues avant, l’arme prête à tirer.

Les motocyclistes sont armés de revolvers. A 11 heures les Allemands tirent un peu dans les fenêtres en passant. Ils vont d’ailleurs très vite.

Une balle tombe dans l’imposte du bureau de la maison. Résultat un carreau cassé, un rideau troué et la balle sur le tapis. On ne remarque le coup dans l’après-midi seulement. Ceci nous empêche de nous énerver.

 

Durant toute la matinée, on assista à un spectacle assez amusant. Des groupes de badauds stationnent en face de la maison au coin de la rue de Lille, et de la rue de l’Eglise. Une auto apparaît au loin, et rapidement tout le monde court se cacher derrière la mairie. L’auto est passée sans tirer (ou en tirant) et chacun prudemment s’aventure jusqu’au poste d’observation si cher à tout Halluinois (qu’il soit communiste ou ….séminariste) et ainsi jusqu’à 13 heures.

 

13 Heures 

Marie-Madeleine après quelques hésitations, se décide à aller chercher du lait au Mont. En passant devant la cité Cornil, elle apprend que la Mairie et le Commissariat de police d’Halluin ont été pris par les F.F.I.

Pourtant rien de spécial ne s’était produit avant son départ. Elle revient rapidement et remarque que c’était un bobard. Néanmoins, peut-être se passera-t-il quelque chose d’ici peu de temps ; en effet, les Allemands se montrent de plus en plus vigilants à leur passage dans Halluin.

 

14 Heures

Maman part à l’église, puisque tout demeure calme, pour une cérémonie du Grand Retour.

 Bientôt Marie-Madeleine et moi qui étions au magasin, voyons quelques hommes rentrer dans le commissariat de police sis rue de Lille en face de « La Plume » (Tiberghien) à côté de chez Mahieu. Comme toujours il y avait un attroupement en face de la maison.

 

Bientôt un « Pétain » qui se trouvait à la porte du commissariat vient avertir ces personnes de partir parce que le coup dur se produira bientôt. Les gens quittent à regret leur coin. Des camions Allemands passent encore, mais moins nombreux, nous baissons les persiennes.

 

14 Heures 10

Une auto de croix rouge Allemande passe. Ce n’est pas une ambulance, mais elle contient des pansements. Du commissariat sortent une dizaine d’hommes dont quelques uns seulement sont armés : un fusil, quelques revolvers. Le réservoir d’essence de la camionnette est percé et l’auto s’arrête sur le mur du « Violon d’Or ».

 

16 Heures 30 

Quelques camions allemands passent. Les F.F.I. jugent prudents de se retirer, n’étant pas assez nombreux. Mais les camions s’arrêtent ; les Allemands descendent, crient des ordres et bientôt une fusillade commence dans les rues de la Gare, de Lille, et de l’Eglise.

 

Un char arrive bientôt, monte la place de l’Eglise et tire sur l’église un coup de canon près du portail gauche. Des vitres volent en éclat : boucherie Graye surtout. Les Allemands essaient de faire sauter un pan  de mur à la mairie ; une forte détonation se produit, des glaces se brisent ! Nous pensons que c’est celles de la rue de l’Eglise. Mais c’étaient les glaces de chez Dumortier et Couzineau.

 

Pendant ce temps il se passe une chose horrible en haut de la rue de Lille.

Des Allemands, sachant que les F.F.I. tirent sur les camions dans Halluin, s’arrêtent devant le terrain de football ; Ils rentrent dans quelques maisons et emmènent des personnes : femmes et enfants entre autres.

Marguerite Dassonville Carton (Albert était parti se cacher un peu plus loin) Madame Lemaitre, les filles et petits enfants ; Monsieur l’abbé Louis Lemaitre, Mademoiselle Marthe et d’autres. Tous ces gens sont réunis, et après les avoir laissé attendre un moment au pied d’un mur (peur d’être fusillés) kes conduisent sur leur camion en leur disant

 

« Si ces cochons de Français tirent sur nous, vous y passez TOUS »

 Pleurs, lamentations, essais d’attendrissement, mais rien à faire. Marguerite passe devant chez elle, et sans plus réfléchir aux conséquences de son acte se précipite chez elle et s’enfuit.

Les Allemands n’ont rien vu, heureusement pour elle. Tous ces otages emportés à allure lente passent sans encombre Halluin, Menin, Dadizeele. Les Allemands trouvent génant d’avoir des « brayous » avec eux, et ils laissent partir tout le monde. Ces personnes dorment à Menin et sont revenues le dimanche matin à Halluin.

 

Au moment de monter dans le camion, Monsieur L’abbé Lemaitre donna l’absolution générale.

 De plus dans le même quartier, les Allemands mettent le feu à une maison dans l’espoir d’anéantir toute une rangée d’habitations. Heureusement une seule maison brûla. Le feu pût être combattu.

 

18 Heures 

Les derniers Allemands maîtres d’Halluin s’en vont, et les F.F.I. reviennent ; ils ont tué 2 Allemands et en ont fait 5 prisonniers. Les gens sortent de chez eux. En entendant la langue Française parlée dans les rues, nous remontons de la cave pour voir les dégâts : 14 fenêtres cassées, 2 plafonds éraflés, 3 trous dans le mur, un placard de la chambre percé de 3 ou 4 balles. Dehors c’est le calme.

 

Parfois un coup de feu nous avertit d’un danger possible. On entend parfois le silence (ce qui est rare) c’est un Allemand qui approche. Bientôt un F.F.I. crie « Halte » et l’Allemand se rend en jurant.

 Nous soupons en haut et aménageons un matelas dans la cave pour la nuit. On enlève les rideaux pour qu’ils ne soient plus troués. Nous descendons de temps à autre à la cave, mais c’est toujours, à partir de ce moment, pour des alertes bénignes.

 

Dimanche 3 septembre 1944

6 Heures 15

Les cloches sonnent pour convier les gens à la messe comme d’habitude. Dehors un peloton de F.F.I. garde la rue de l’Eglise. Quelques rares Halluinois, venant des endroits où rien ne s’est produit la veille, vont à la messe. Une tasse de bon café nous réconforte.

 

7 Heures 30

Les F.F.I. défendent de passer par la rue de l’Eglise. Nous décidons de ne pas sortir. Tant pis pour la Messe. Nous la lisons chacun. Pourtant rien ne se produit dehors. Calme relatif.

 Après plusieurs heures, nous décidons sur conseil des F.F.I. de quitter la maison.

 

14 Heures 45

La mairie met ses drapeaux : français, russe, américain, anglais. Tout le monde dans les petites rues arbore son drapeau aussi. Tante Madeleine le met.

Mais les Anglais n’arrivent pas. On les dit aux environs de Lille seulement. Nous essayons de retourner chez nous. Mais il y a trop de bruit, de cris. Petit à petit les drapeaux disparaissent, et on attend.

 

Lundi 4 septembre 1944 

 Grand espoir déçu encore aujourd’hui. Nous allons à la messe, au salut. Rien à signaler. On dit le soir que les Anglais seront là entre 18 heures et 21 heures. Mais on se couche sans les avoir vu. Nous appréhendons la nuit :

 

Un char allemand est passé rue de la Lys ; Il avait pris quelques F.F.I. à Bousbecque comme otage et les avaient placés sur le char. Un coup de fusil est tiré près de la Douane par un F.F.I. d’Halluin.

Ce coup évidemment inefficace mis en rage les Allemands qui tirèrent à bout portant sur les 3 otages : 2 sont morts, un autre fut légèrement blessé.

Si le char revenait à Halluin, on dit qu’il est parti en Belgique. Enfin à la grâce de Dieu. C’est une femme Allemande qui commandait le char.

 

Mardi 5 septembre 1944

La nuit s’est bien passée. Mais les nouvelles sont mauvaises. Les Allemands du char ont été délivrés des « chemises noires » de Menin (B) et ensemble ils commencent à démolir et à piller les habitations des « chemises blanches ».

 

Ce sont des représailles : la veille la population de Menin avait littéralement déménagé les maisons des « chemises noires » connues et avaient tout mis en pièces.

Vers midi, on apprend que les Allemands ont repris Menin et avancent vers Halluin. Il y en a rue de la Lys, rue Basse à 700 mètres de la Mairie d’Halluin.

Alarmés, les F.F.I. téléphonent et envoient chercher du secours. Beaucoup abandonnent le brassard qu’ils avaient été si fiers de porter Dimanche.

 

Au coin de la rue de Lille et de la rue de l’Eglise, les F.F.I. inscrivent un grand « S.O.S. » en espérant que des avions anglais le verront. On apprend que trois tanks anglais se trouvent à Bondues sans travail. Ils attendent des ordres. Angoisse. Des F.F.I. de Roubaix-Tourcoing arrivent avec des canons. Bientôt des avions anglais survolent, par plusieurs fois, l’endroit où se trouve « S.O.S. » Espoir !

 

19 heures 30 

 Une estafette anglaise arrive à la Mairie et annonce des renforts dans une demi-heure. Mais bientôt arrive un camion anglais qui, vue la situation juge plus prudent d’attendre les chars.

 La nuit est un peu mouvementée. On s’attend à tout instant à entendre les Allemands.

 

Mercredi 6 septembre 1944 

 Les premières heures de la journée sont troublées par des coups de feu.

 

6 Heures

Explosion formidable : c’est le pont de Menin que les Allemands ont fait sauter et on apprend qu’ils se sont repliés derrière la Lys. On respire !

Mais on annonce encore des colonnes de SS à Wevelgem, Wervicq. Quelques Allemands sont encore au bois Gratry.

 

On se tranquillise pourtant. On dit que, paraît-il, il y a eu quelques chars anglais qui sont venus de Mouscron à Menin. Le calme se rétablit un peu.

 Et bientôt défile rue de Lille, venant de Menin, 5 chars anglais qui ont nettoyé la place.

 

Acclamation. Les troupes alliées sont là !

Comme prévu les clochent sonnent. IL EST 11 Heures 45 !

 

Le défilé et la vie d’Halluin libérée

11 Heures 45

Une foule de gens descend vers la place de l’Eglise. Les drapeaux sont sortis, les drapeaux français, anglais, américains, belges et russe.

 

Les Anglais seuls n’ont fait que passer. Marie-Madeleine a vu les premiers chars qui ont été copieusement acclamés, et avaient bien de la peine à avancer. Tout le monde est heureux

 Et bientôt on annonce un discours à la Mairie. Les gens se massent face au balcon et attendent patiemment.

 

12 Heures 15

Les cloches se taisent et apparaît au balcon de la Mairie le Comité local de la Libération. On entend quelques discours, on félicite les résistants, et on chante les hymnes anglais, l’Internationale et La Marseillaise.

Le chef des F.F.I. est acclamé.

 

15 Heures

Défilé avec la Philarmonie, les F.F.I. les F.T.P., les anciens combattants.

 

17 Heures

On entend du haut du clocher où se trouvent des observateurs : « Un convoi rue de Lille vers Halluin ». Est-ce des Allemands ? Non ce sont des Anglais, et pendant plus de 3 heures les Anglais passent.

 

Délire. On embrasse, on parle aux Anglais.

Et le soir nous sommes tous très heureux de nous savoir enfin libérés.

Pendant la canonnade on a eu peur. Mais à partir du lendemain, c’est le calme absolu.

 

C’est la joie. VIVE LA FRANCE.

7/8/2010.

Commentaire : Daniel Delafosse